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Publi livre : Dans la peau d’un noir, de JH Griffin

mercredi 8 août 2018, par phil

Comment un écrivain américain blanc s’est-il transformé en noir pour éprouver ce que ressent un homme noir dans l’Amérique profonde ?
Dans la peau d’un noir (titre original Black Like Me, « noir comme moi ») est un récit autobiographique écrit entre le 28 octobre 1959 et le 17 août 1960 par John Howard Griffin, écrivain et journaliste américain.
Le livre fut publié en 1961. Il livre une expérience de six semaines pour Griffin, blanc de Mansfield au Texas, grimé en afro-américain. L’auteur avait pour objectif de connaître la réalité de l’existence d’un noir dans le sud des États-Unis.
Maintenant le témoignage est là, tangible, solide, prêt à prendre place dans les rayons de toute bibliothèque qui se respecte (Robert Escarpit, Le Canard enchaîné).
Un témoignage clef, toujours d’actualité.


Je fus épouvanté par une métamorphose aussi complète. C’était différent de tout ce que j’avais imaginé. Je devins deux hommes, l’un qui observait et l’autre qui s’affolait, qui se sentait négroïde jusqu’au plus profond de ses entrailles.
(...)

Je commençais à éprouver un sentiment de grande solitude, non parce que j’étais un noir, mais parce que l’homme que j’avais été, l’individu que j’avais connu, était caché dans le corps d’un autre.
(...)

Personne ne faisait attention à moi. La rue était remplie de noir. Je flânais en regardant les vitrines. Des boutiquiers blancs avec une clientèle exclusivement noire se tenaient sur leur seuil et nous invitaient à entrer.
(…)

Leurs voix se faisaient insinuantes et leur sourire mielleux.
C’était le ghetto.
Je l’avais connu auparavant lorsque je pouvais, du haut de ma grandeur y jeter un regard de pitié condescendante. Maintenant, j’en faisais partie, je voyais cela sous un angle différent. Au premier coup d’œil la vérité s’étalait. Tout n’était que denrées au rabais, désordre, trottoirs couverts de crachats. Ici les gens se hâtaient vers des escroqueries minables, des affaires véreuses, s’efforçant de trouver des bouts de pain à bon marché ou des tomates trop mûres. Ici régnait l’odeur fétide et indéfinissable de la désolation. Ici la pudeur était un luxe. Les gens luttaient pour cela. J’ai pu le constater au passage, alors que j’étais en quête de nourriture.
(...)

Traversant à pied le ghetto de Dryades, je réalisai que toutes les personnes compétentes à qui j’avais pu parler, grâce au lien rassurant de notre couleur identique, avaient admis la dualité du problème du Noir. D’abord la discrimination que les autres lui font subir. Ensuite celle, encore plus pénible, qu’il s’inflige à lui-même ; le mépris qu’il a pour cette noirceur associée à ses tourments, son empressement à nuire à ses camarades noirs lorsqu’ils font partie de cette noirceur dont il souffre tant.
(...)

Je me souviens d’avoir entendu un Noir dire : vous pouvez vivre ici toute votre vie, mais vous n’entrerez jamais dans un des grands restaurants, sauf comme garçon de cuisine. C’est monnaie courante pour un Noir de rêver de choses dont il n’est séparé que par une porte, sachant qu’il ne les connaîtra jamais.
(...)

Ma première impression vague, favorable, que ce n’était pas aussi mal que je m’y attendais venait la politesse manifestée au Noir par les Blancs de La Nouvelle-Orléans. Mais c’était superficiel. Toutes les manifestations de politesse du monde n’arrivent pas à dissimuler l’impolitesse essentielle et fondamentale que le Noir n’est pas traité comme un citoyen de deuxième ordre, mais seulement de dixième ordre.
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Jour après jour, sa condition inférieure s’impose à lui dans sa vie quotidienne. Il ne s’habitue pas à ces choses, les refus polis qu’il essuie lorsqu’il est en quête d’un emploi meilleur, s’entendre qualifié de nègre, coon, jigaboo, pouvoir seulement utiliser des toilettes et entrer dans des restaurants déterminés. Cette nouvelle interdiction touche le point sensible, agrandit la plaie.
(...)

La vie devient un effort écrasant, gouvernée par le ventre creux et le besoin quasi désespérée de connaître les plaisirs afin d’oublier la misère.
(...)

Je me baissai pour ramasser ma monnaie et mon ticket. Je me demandais ce qu’elle éprouverait si elle apprenait que le Noir devant qui elle s’était conduite avec tant de vulgarité était habituellement un homme blanc.
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Une de plus, un œil haineux attira mon attention comme un aimant. Il émanait d’un homme blanc entre deux âges, carrure lourde, bien habillé. Il était assis à quelques mètres de moi, me fixant du regard. Il est impossible de décrire l’horreur glacée que l’on ressent. On est perdu, écœuré par l’aveu de tant de haine, pas tellement parce que c’est une menace, mais par ce que cela montre les êtres humains sous un jour si inhumain. On voit une sorte de démence, quelque chose d’aussi indécent que l’indécence en soi, plus que la menace qu’elle contient, est terrifiante.
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Ses questions avaient l’apparente élévation d’un érudit qui cherche à accroître ses connaissances, mais les connaissances qu’il cherchait étaient exclusivement d’ordre sexuel. Il présupposait que, dans le ghetto, la vie des noirs est un marathon du sexe avec un grand nombre de partenaires différentes, à la vue de tous, bref, que la fidélité conjugale et l’utilisation du sexe comme trait d’union entre deux êtres qui s’aiment étaient l’apanage exclusif des blancs.
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Bien qu’il se prétendît au-dessus d’idées telles que la supériorité raciale, et qu’il parla avec une sincérité chaleureuse, toute sa conversation, truffée d’idées préconçues, était la preuve du contraire.
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Cela s’expliquait du fait que la couleur noire est ce qu’elle impliquait à ses yeux l’autorisait à se démasquer. Il considérait le Noir comme une espèce humaine différente. Il me regardait comme une sorte d’hybride proche de l’animal, et de ce fait, il ne se croyait pas tenu à conserver son respect humain, mais cela, il eût certainement refusé de l’admettre.
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Mettez l’homme blanc dans le ghetto, supprimez-lui les avantages de l’instruction, arrangez-vous pour qu’ils doivent lutter péniblement pour maintenir son respect de lui-même, accordez-lui peu de possibilités de préserver son intimité et moins de loisirs, après quelque temps il assumerait les caractéristiques que vous attribuez aux Noirs. Ces caractéristiques ne sont pas issues de la couleur de la peau, mais de la condition humaine.
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Le noir voit et réagit différemment non parce qu’il est noir, mais parce qu’il est opprimé. La crainte obscurcit même la lumière du soleil.
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Ces enfants étaient en tout point semblables au mien, sauf le côté superficiel de leur coloration, comme, en vérité, il ressemblait à tous les enfants du monde. Et pourtant cet accident, ce détail sans importance, la pigmentation de la peau, les acculait à une condition inférieure. Je pris pleinement conscience de l’horreur de la chose lorsque je réalisai que si ma peau restait noire définitivement, mes propres enfants seraient condamnés sans rémission à cet avenir de flageolets.
Comment en concevoir toute l’ atrocité si l’on n’a pas d’enfants sur qui l’on veille attentivement ? Et quels sentiments éprouverait-on si un groupe d’hommes venait frapper à la porte pour annoncer qu’ils avaient décidé, pour des raisons personnelles, que désormais la vie de ses enfants serait limitée, l’horizon borné, leurs chances d’instruction restreintes, leur avenir menacé ?
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Les racistes blancs ont magistralement réussi à frustrer les Noirs de ce sentiment. De tous les crimes raciaux, c’est le moins évident, mais le plus odieux, car il détruit l’esprit et le désir de vivre.
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Les deux grands arguments, le désordre des mœurs du Noir et son incapacité intellectuelle sont des prétextes pour justifier un comportement injuste et amoral à son égard.
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Les résultats scolaires médiocres des Noirs ne viennent pas d’une carence raciale, mais du fait que les blancs leur refusent les avantages de la culture et de l’éducation. Lorsque les partisans de la ségrégation avancent que le noir est d’un niveau scolaire inférieur, ils apportent de l’eau au moulin de leurs adversaires, en effet c’est admettre tacitement que les noirs feront des études moins bonnes que celles des enfants blancs tant qu’ils seront confinés dans des écoles de dixième ordre.
Je n’ai pas été chargé de défendre la cause des noirs. J’ai cherché ce qu’ils avaient d’inférieur et je n’ai pas trouvé. Toutes les épithètes simplistes d’usage pour qualifier cette race, et en général prises pour argent comptant même pour les hommes de bonne volonté se révèlent injustifiées lorsqu’on vit avec eux et qu’on les connaît.
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Lorsqu’on a fait table rase de tous les racontars et de toute la propagande, le critère n’est que la couleur de la peau. Cette conclusion est le fruit de mon expérience. Ils ne me jugeaient d’après aucune autre qualité. Ma peau était sombre. La raison était suffisante pour qu’ils me privent de ces droits et de ces libertés sans lesquels la vie perd sa signification et devient juste une survivance animale. Je cherchai une autre explication et n’en trouvai point.
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Pour eux, l’instruction est une chose importante. L’époque, où leurs ancêtres étaient confinés dans l’ignorance, où apprendre à lire et à écrire entraînait les pires représailles, est si proche que maintenant la possibilité de s’instruire est pour eux un privilège presque sacré. Ils voient aussi cela comme le seul moyen de sortir du bourbier où ils se trouvent.
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Leurs réalisations sont prudemment omises, où, quand elles s’imposent à l’attention, elles sont traitées avec toutes les précautions voulues pour éviter l’impression qu’un acte valable individuel est typique de la race noire.
(...)

Ils comprirent que l’émancipation économique était la clé de la solution raciale. Tant qu’il leur fallait être subordonnés à des banques fondamentalement hostiles à leur entreprise, ils ne feraient pas de progrès, puisqu’elles refuseraient simplement le crédit nécessaire à des projets qu’elles désapprouvaient. (...) En réunissant des petites sommes qui seraient insignifiantes isolément, en faisant fructifier cette masse, ils pouvaient arriver à créer une puissance financière solide. Il en découla la fondation de deux banques à Atlanta.
(...)

Pendant un des cours auquel j’assistais, un étudiant assumait le rôle de raciste blanc et devait défendre sa position vis-à-vis de ses camarades. Ce fut une séance brutale et révélatrice. La confrontation avec des racistes blancs était certes cruelle. Des étudiants avaient de meilleures manières, plus de connaissances et infiniment plus de discernement.
(...)

Nous eûmes une longue conversation au cours de laquelle il fit ressortir le fait évident que les blancs apprennent à leurs enfants à dire "nègre". Il dit que cela lui arrivait continuellement et qu’il ne voulait même pas aller dans le voisinage des blancs parce que cela l’écœurait d’être appelé ainsi.

COMEDIE ADAPTEE DU ROMAN DE JH GRIFFIN

La comédienne a adapté le roman de John Howard Griffin, un journaliste blanc qui s’est grimé en Afro Américain à la fin des années 60 afin de connaitre le quotidien des Noirs dans le Sud raciste des Etats-Unis. Elle a présenté sa pièce au festival d’Avignon 2012. (Reportage Sophie Neny et Virginie Danger pour France Ô)

REPORTAGE SUR EXPERIMENTATION POST-LIVRE

--------->> UNE CRITIQUE parmi d’autres en extraits (lien ci-dessous) :

 http://cafardsathome.canalblog.com/archives/2016/03/23/33557379.html

Il va vivre ainsi six semaines, séjour très long qui s’apparente bien des fois à l’Enfer sur terre comme il le dit lui-même. Il constate ainsi que les gens ne se comportent pas du tout de la même manière selon la couleur de peau de leur interlocuteur, le racisme est ancré dans les habitudes et la perception que l’on a de l’autre.

Regard en biais, froncements de sourcils s’enchaînent quand ce ne sont pas des refus injustes (le passage du voyage en car est éloquent sur le sujet, les Blancs durant la pause ont le droit d’aller aux toilettes, pas les Noirs), des allusions racistes et déviantes (discussions avec les automobilistes qui le prennent en stop et qui ne semblent que s’intéresser à l’activité sexuelle supposée frénétique des Noirs) voire des menaces lourdes de sens.

C’est un coup de bambou que reçoit John qui se rend compte qu’au delà des vexations et des interdits, il est très dur tout simplement de vivre : trouver un logement, un travail, se nourrir. Tous les actes quotidiens sont viciés par la ségrégation de fait qui s’exerce dans les États du sud de l’époque.

L’auteur traverse plusieurs États et à chaque fois, le malaise persiste et nourrit sa réflexion. Il rencontre énormément de Noirs avec qui il échange et parfois vit un petit laps de temps. Il prend d’autant plus conscience de leur précarité et du poids des préjugés sur leurs épaules.

Le racisme est tellement installé dans les mentalités qu’ils en viennent à douter d’eux-même et de leurs capacités : Je réalisai que toutes les personnes compétentes à qui j’avais pu parler, grâce au lien rassurant de notre couleur identique, avaient admis la dualité du problème du Noir. D’abord la discrimination que les autres lui font subir. Ensuite celle, encore plus pénible, qu’il s’inflige à lui-même ; le mépris qu’il a pour cette noirceur associée à ses tourments.

C’est irrémédiablement changé que John rentre enfin au sein de sa famille.

 http://bouquinivore.over-blog.com/2017/02/dans-la-peau-d-un-noir.html

 http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/11805

Lorsque un Noir explique « Nous ne sommes pas des gens instruits parce que nous n’en avons pas les moyens, ou parce que nous savons qu’avec de l’instruction nous n’aurions pas les mêmes emplois que les Blancs », il est difficile de ne pas faire le lien avec les immigrés chez nous : envoyés dans des écoles moins performantes parce qu’au milieu de ghettos et presque automatiquement destinés aux sections professionnelles devenues le symbole même de l’échec social.
De même avec : « Le Noir sait qu’il y a quelque chose qui ne va pas du tout, mais, vu le fonctionnement actuel des choses, il ne peut pas savoir qu’à travers le travail et les études on atteint quelque chose de mieux ».
Ou bien : « Le désespoir émousse le sens de la vertu chez un homme. Plus rien n’a d’importance pour lui. Il fera n’importe quoi pour y échapper – voler, commettre des actes de violence (…) »
Et : « personne, pas même un saint, ne peut vivre sans le sentiment de sa valeur individuelle. Les racistes blancs ont magistralement à frustrer les Noirs de ce sentiment. De tous les crimes raciaux, c’est le moins évident mais le plus odieux, car il détruit l’esprit et le désir de vivre. » (...)

 http://www.cafepedagogique.net/communautes/Livreavous/Lists/Billets/Post.aspx?ID=43
J’ai particulièrement aimé la scène où l’auteur se trouve dans un autobus. Il est assis au fond, en compagnie des autres noirs, alors que les blancs, eux, sont assis devant (ces deux « clans » évitent de se mélanger). Après plusieurs heures de voyage, le conducteur annonce dix minutes d’arrêts et montre des toilettes aux voyageurs en leur disant que s’ils ont besoin, ils peuvent les utiliser. Les voyageurs blancs descendent tranquillement, et au moment où l’auteur ainsi que les autres noirs s’apprêtent à descendre, le conducteur leur barre le chemin. Le chauffeur leur demande alors si sur leur ticket est indiqué qu’ils ont le droit de descendre ici. Evidemment, les noirs répondent que « non » et doivent retourner à leur place, la vessie pleine. Cette scène montre que le racisme empêche les noirs de faire beaucoup de choses et mêmes les choses les plus naturelles. Le fait de laisser les noirs descendre avec les blancs n’aurait rien changé vis-à-vis du chauffeur ; et bien pourtant cela leur est interdit.
Ce type de scène m’a plu. En effet, on se rend compte de ce qu’est le racisme.

 https://www.biblioblog.fr/post/2006/12/29/406-dans-la-peau-d-un-noir-j-h-griffin

Il y a des titres qui restent très longtemps dans un coin de la mémoire... La première fois que j’ai entendu parlé de ce roman, c’était dans un ouvrage scolaire. En allant à la bibliothèque, je suis "tombée" dessus. Il était en-dehors des rayons, attendant d’être dûment rangé. L’occasion était trop belle et je m’en suis saisi. Mais je n’imaginais pas une seconde quel était réellement le propos du livre. C’est vous dire si je suis restée coite quand j’ai compris qu’il s’agissait d’un récit autobiographique : en 1959 J.H. Griffin, homme blanc, à l’aide d’un médecin, a coloré sa peau pour devenir noir puis est parti sur les routes, se rendre compte de la réalité quotidienne de ces hommes-là.