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Bilan 2017 : une année de révolte des femmes avec Balance ton porc !!

dimanche 31 décembre 2017, par Andy

Se souviendra-t-on de 2017 comme d’une année charnière dans l’Histoire des femmes ? En tout cas, une bascule s’est opérée. Récit

C’est une année vertigineuse qui s’achève. L’année qui a vu naître une révolte collective majeure, qui vient bousculer un concept que d’aucuns croyaient quasi-inébranlable : celui de la domination masculine. "Des femmes se sont levées et d’autres leur ont répondu #metoo. Je trouve ça magnifique", applaudit Michelle Perrot, éminente spécialiste de l’histoire des femmes. L’historienne poursuit :

"Difficile de dire ce que l’histoire retiendra. Mais telle qu’on la voit aujourd’hui, cette protestation massive est déjà un véritable événement."
Tout commence le 5 octobre, lorsque le "New York Times" révèle le secret de polichinelle le mieux gardé d’Hollywood : célèbre producteur de films et faiseur de rois craint de tous, Harvey Weinstein est accusé d’être un prédateur sexuel, qui a harcelé des femmes pendant trois décennies, et conclu au moins huit arrangements financiers pour que ses victimes se taisent. Cinq jours plus tard, le "New Yorker" dévoile les témoignages de 13 femmes supplémentaires agressées sexuellement, dont trois auraient été violées. Selon l’auteur de cette enquête, Ronan Farrow, au moins 16 professionnels qui travaillaient avec Weinstein ont été témoins ou informés des avances sexuelles non consenties du géant du cinéma. Ainsi, même des stars internationales comme Asia Argento ou Rose McGowan ont été victimes de viols, et subi des pressions pour se taire ? Dans notre société qui se veut de plus en plus égalitaire, le choc est mondial.

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En tout, 93 femmes ont accusé à ce jour Harvey Weinstein de les avoir harcelées, agressées sexuellement voire violées. C’est tout un système de complicités et de tentative d’étouffement des affaires qui est mis au jour. Tout le milieu savait depuis bien longtemps. Mais tout le monde se taisait. Ces révélation agissent comme un électrochoc.

Comme si une digue avait subitement sauté, le hashtag #metoo ("moi aussi") réunit les voix de millions de femmes anonymes qui dénoncent à leur tour les violences dont elles ont été victimes sur Twitter et Facebook. Aux Etats-Unis, les têtes tombent, dans le monde du spectacle, du sport et de la politique. En Italie, l’actrice Asia Argento, qui publie la liste des victimes de Harvey Weinstein, essuie une campagne de critiques acerbes dans un pays encore profondément machiste. Au Nigéria, l’actrice de Nollywood Annabella Zwyndila dénonce le harcèlement dont elle a été victime. En Amérique du Sud, les candidates de Miss Pérou énoncent les crimes faits aux femmes plutôt que leurs mensurations.

"Des femmes se sont levées"
La France n’est pas en reste. Le 13 octobre 2017, la journaliste Sandra Muller, lance le hashtag #balancetonporc, dénonçant le journaliste qui l’a harcelée : "’Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit’ Eric Brion ex patron de Équidia #balancetonporc". En quelques minutes, le hashtag fait l’effet d’une bombe.

Sandra Muller
@LettreAudio
" Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit" Eric Brion ex patron de Équidia #balancetonporc

20:13 - 13 oct. 2017 · Manhattan, NY
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En l’espace de trois jours, 150.000 messages sont échangés, 16.000 racontent leur agression, viol ou harcèlement, exhumant leurs traumatismes, trop longtemps refoulés. "La honte, peu à peu, change de camp", se réjouit la sociologue Irène Théry.

A dessein, Sandra Muller utilise le mot "porc", arguant que c’était le surnom d’Harvey Weinstein à Cannes, et que les hommes qui agissent de la sortent ne se comportent pas comme des être humains.

"Les insultes, ça fait partie de l’histoire du féminisme", rappelle à "l’Obs" la philosophe et historienne de la pensée féministe Geneviève Fraisse, directrice de recherche au CNRS. "Alors, #balancetonporc, ça ne me choque pas. Les hommes emploient certains mots - ’ma poule’, ’ma chatte’ - pour qualifier les femmes, donc un peu de symétrie ça ne fait pas de mal". L’historienne juge cependant erroné de dire que "la parole s’est libérée" :

"La parole ne s’est pas libérée, ce sont les femmes, en tant que sujets actifs, qui ont PRIS la parole !"
"Rangés sur l’étagère la plus sombre de leur mémoire"
Ce déferlement de témoignages aurait-il pu avoir lieu sans cette affaire ? "Ça aurait été impossible, il y a encore quelques années", estime auprès de "l’Obs" l’historienne Michelle Perrot. "Avec les réseaux sociaux, la protestation s’est répandue comme un éclair".

"C’est peut être une des premières fois dans l’histoire que les femmes s’emparent de manière aussi massive des réseaux sociaux, pour leur cause."
Face à cet élan collectif, une autre journaliste française décide de faire descendre ces hashtags dans la rue. "Je trouvais ça dommage que ce hashtag #MeToo se limite juste à un buzz", explique à "l’Obs" Carole Galand, initiatrice d’un grand rassemblement dans les grandes villes de France le 29 octobre. L’idée est d’exporter ces souffrances hors de la seule sphère numérique. Car ces hashtags, #balancetonporc et #metoo "ont mis le feu aux joues de milliers de femmes qui ont vu remonter en elles des souvenirs qu’elles avaient pris soin de tasser bien comme il faut dans des petites boîtes noires avant de les ranger sur l’étagère la plus sombre de leur mémoire", estime-t-elle.

Lors du rassemblement "Me too" à Paris, le 29 octobre 2017. (BERTRAND GUAY / AFP)

Le mouvement est contagieux. Dans la presse, outre Eric Brion, épinglé par Sandra Muller, d’autres professionnels sont accusés de harcèlement sexuel ou de viols : Eric Monier, ex-directeur de la rédaction de France 2, Frédéric Haziza, journaliste à LCP, ou bien encore Patrice Bertin, ancien rédacteur en chef à Radio France. La presse révèle aussi le harcèlement pratiqué par l’ancien président du Mouvement des jeunes socialistes, un "système de violences sexistes" à l’Unef, les cas de harcèlement sexuel à l’école 42, les abus à l’Ecole polytechnique... Mis bout à bout, ces témoignages portent un message collectif. Ils éclairent d’une lumière crue un phénomène de domination masculine dénoncé depuis longtemps.

Soudain, des pans entiers des rapports hommes-femmes sont remis en question. La misogynie ne passe plus à la télévision. La répartition de la charge mentale au sein des foyers continue de faire débat. Le caractère sexiste de la langue française interroge avec l’introduction de l’écriture inclusive.

"Ce qu’on raconte depuis 10 - 15 ans commence à être entendu", se réjouit auprès de l’Obs la militante féministe Caroline de Haas. "On le voit dans la façon dont c’est traité dans les médias. On a une génération de jeunes journalistes qui traitent ces sujets avec un bien meilleur niveau de conscience. C’est enthousiasmant !"

Et puis, la prise de parole se traduit dans les faits : en octobre, les plaintes pour violences sexuelles déposées en gendarmerie ont augmenté de 30% par rapport à la même période de l’année précédente !

Le spectre français de la "délation"
Mais en parallèle, des détracteurs reprochent au mouvement de transformer Twitter en tribunal populaire. De sombrer dans la vindicte, d’exhorter à la délation, à la dénonciation. "Cette critique est tout à fait symptomatique de la culture du viol qui imprègne l’inconscient collectif de notre société : quoi que fassent les victimes de violences sexuelles, elles ont tort. Tort de se taire, tort de parler… Ce processus est d’une perversité inouïe", balaie dans "l’Obs" la psychiatre spécialiste des violences sexuelles Muriel Salmona.

Cette réaction est-elle typiquement française ? "Dénoncer en France, c’est difficile", admet l’historienne Michelle Perrot. "Le mot ’dénonciation’ est connoté en France par l’histoire de la Deuxième guerre mondiale et la dénonciation des Juifs. Dans l’inconscient des Français, dénoncer c’est opprimer quelqu’un".

"Certains épisodes, comme par exemple le procès de George Tron n’encourage pas les femmes à dénoncer. On a insinué que les plaignantes se contredisaient, qu’elles étaient un peu dingues... Tout cela contribue à intimider les femmes".
Dans le sillage du Weinstein Gate, les accusations les plus médiatisées en France ont sans doute été celles portées contre l’islamologue Tariq Ramadan. Deux plaintes ont été déposées pour viol, agression sexuelle et violences, une pour des faits de harcèlement. Trois anciennes élèves du "professeur Ramadan" en Suisse déclarent aussi avoir eu des relations sexuelles avec lui alors qu’elles étaient mineures et dénoncent une "emprise psychologique".


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