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Prévenir et sensibiliser dans le cadre scolaire par Cécile Chartrain

vendredi 25 août 2017, par Lionel 3

« En seconde, lors des cours d’EPS, je devais me changer dans les toilettes pour éviter les agressions homophobes des autres élèves de ma classe. Le groupe de garçons m’a menacé plusieurs fois de me “mettre à poil sous la douche”. Le professeur d’EPS a laissé faire sans sanctionner les agresseurs. » (Gaspard, 17 ans.) Des témoignages comme celui-ci, l’association SOS homophobie en reçoit très régulière- ment. Ainsi, sur un total de 1 556 témoignages, 5 % des appels reçus par SOS homophobie en 2011 relevaient de situations intervenues dans le milieu scolaire ou l’enseignement supérieur. Il en va pourtant de l’homophobie comme du racisme : l’ignorance, la méconnaissance de l’Autre, favorisent la peur et constituent le terreau privilégié à partir duquel peuvent se développer la stigmatisation, la mise à l’écart et la discrimination. Aussi, l’école, qui forme les adultes de demain, devrait être un lieu d’acquisition des connaissances mais également d’apprentissage du « vivre ensemble avec ses différences » plutôt que d’apprentissage de la violence, de l’exclusion et de la discrimination.

Pendant longtemps, il fut très dif cile d’aborder la question de la diversité des sexualités dans le cadre scolaire en France, car il n’y avait aucun texte of ciel encourageant et/ ou encadrant cette éventualité. La seule approche de la sexualité admise était celle des sciences naturelles, qui se focalisait sur la fonction reproductive. Si la prévention du sida a été intégrée dans les programmes de biologie dès 1987, il a fallu attendre le début des années 2000 pour que différentes lois et circulaires permettent d’aborder la sexualité autrement que comme une source de risque, à savoir comme une « composante essentielle de la construction de la personne et de l’éducation du citoyen ». L’Éducation nationale s’est également engagée dans une démarche active de lutte contre les discriminations liées au genre et à l’orientation sexuelle, en encourageant la mise en place de dispositifs et d’actions de prévention contre l’homophobie. Si différentes circulaires ont permis de la renforcer depuis, la loi du 4 juillet 2001 continue de servir de principal repère en matière d’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire23. Elle stipule en particulier qu’« une information et une éducation à la sexualité sont dispen- sées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ». Les modalités de cette éducation à la sexualité sont précisées par ailleurs, notamment en ce qui concerne la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes et la lutte contre les préjugés sexistes et les possibilités d’interven- tion d’acteurs extérieurs aux personnels des établissements. C’est dans la circulaire de préparation de la rentrée scolaire 2008 (circulaire no 2008- 042 du 4 avril 2008) qu’apparaît pour la première fois une mention du rôle de l’école en matière de lutte contre l’homophobie. Cette circulaire est en effet structurée autour de dix grandes orientations prioritaires, dont l’une vise explicitement à lutter contre toutes les formes de discrimination et de violences à l’école, « notamment l’homophobie », et ce « par tous les moyens, prévention et sanction ». La circulaire de préparation de la rentrée 2009 (circulaire no 2009-068 du 20 mai 2009) insiste sur la nécessité que les règlements intérieurs mentionnent le refus de toutes les formes de discrimination, les nomment clai- rement et interdisent tout harcèlement, propos injurieux ou diffamatoires. S’inscrivant dans une démarche clairement volontariste, elle mentionne aussi des manières concrètes d’agir pour lutter contre les discriminations homophobes dans les établissements sco- laires, campagnes d’af chage et promotion du dispositif d’écoute téléphonique Ligne Azur (voir p. 46) comprise. La lutte contre l’homophobie a pris un tournant décisif avec l’élection de François Hollande en mai 2012, d’autant que l’égalité pour tou·te·s figurait parmi ses engagements de campagne. Indépendamment du projet de loi Taubira sur le mariage et l’adoption, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a con é à l’automne à la ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, la mission d’animer la coordination du travail gouvernemental contre les violences et les discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre24. L’objectif était de conduire un dialogue avec un grand nombre d’acteurs et associations de terrain, au travers d’une large consultation articulée en six groupes de travail a n d’élaborer un programme d’action gouvernemental dont les principaux axes ont été présentés n octobre 2012. L’idée de « s’appuyer sur la jeunesse pour faire évoluer les mentalités » était constituée en priorité.

Elle était déclinée en six points renvoyant largement au rôle des institutions scolaires : – dans le milieu scolaire, développer l’éducation à la sexualité et à l’égalité ; – prévenir les violences homophobes à l’école ; – dans l’enseignement supérieur, mieux accompagner les étudiants en situation de mal-être ; – faire de la lutte contre l’homophobie une priorité des plans de santé publique ; – réaffirmer les valeurs du sport et de l’éducation populaire ; – changer les représentations.

Parallèlement, Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale, a commandé deux rapports traitant plus ou moins directement des jeunes et de la lutte contre l’homophobie dans le cadre scolaire : l’un à Michel Teychenné (qui était en charge des questions LGBT pourFrançois Hollande durant la campagne électorale de 2012) sur l’homophobie à l’école25 ; l’autre à Éric Debarbieux sur les violences en milieu scolaire.

La volonté politique qui semble animer le nouveau gouvernement permet de légitimer les interventions en milieu scolaire autour de la lutte contre l’homophobie et de la sensibili- sation à la diversité des sexualités. Pourtant, non seulement les règlements intérieurs des établissements scolaires sont rarement mobilisés pour sanctionner les propos ou actes ho- mophobes, mais l’application de la loi de 2001 généralisant le principe d’éducation reste problématique. En effet, le système repose essentiellement sur la bonne volonté des chefs d’établissement, qui ont le dernier mot en cas de proposition d’un enseignant, d’une in r- mière scolaire ou d’une assistante sociale. En pratique, les chefs d’établissement craignent souvent la désapprobation des parents d’élève et préfèrent en conséquence l’inertie. Quand initiative il y a sur le sujet, elle émane bien souvent d’un membre de l’équipe pédagogique particulièrement sensible à la question. L’homosexualité peut être abordée par les enseignants sans même s’éloigner des pro- grammes scolaires. Les professeurs de français savent que les personnages et les passions amoureuses autres qu’hétérosexuels abondent dans de très grandes œuvres littéraires (voir l’encadré p. 59). Doit-on passer ces aspects sous silence, là où l’on inviterait les élèves à commenter les affres de la passion amoureuse chez Emma Bovary ou Julien Sorel ? Et cela a-t-il un sens, pour un professeur d’histoire, par exemple, d’évoquer l’Antiquité en taisant la place des relations homosexuelles dans la société ?


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