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L’Idéologie raciste, genèse et langage actuel, Paris/La Haye, Mouton, 1972. Nouvelle édition : Gallimard, Coll. Folio essais (no 410), 2002, 384 p.

jeudi 15 octobre 2015, par Lionel 3

Voici réédité en poche un livre qui était épuisé depuis plusieurs années, et qui a fait date pour les chercheurs du domaine lors de sa publication en 1972. Avec quelques autres, en effet, il a inauguré une sociologie qui tente d’intégrer les points de vue de l’analyse du discours : histoire et usages de la notion de « race », modes de catégorisation sous-tendus par les différentes formes de racisme, construction discursive de l’altérité (dans la presse, par exemple)...

Colette Guillaumin, née en 1934, est une sociologue au CNRS et une féministe française. Elle fait d’abord des recherches qui font date sur le racisme : à la suite de Frantz Fanon, elle souligne l’infériorisation des non-blancs, et la hiérarchisation des personnes suivant leurs caractéristiques biologiques. Elle est l’une des première en sociologie à rappeler que la notion de "race" n’a aucune valeur scientifique (c’est un mode de classement arbitraire). Elle démonte les discours naturalisants, essentialistes, qui légitiment les discriminations. Dès la fin des années 1960, elle s’intéresse au féminisme. Elle intègre l’équipe de rédaction de la revue Questions féministes fondée en 1977 par Simone de Beauvoir, qui est la source et l’organe de publication du féminisme matérialiste. Elle y côtoie Christine Delphy, Monique Wittig, Nicole-Claude Mathieu, Monique Plaza, Emmanuelle de Lesseps...

Il n’est point ici question d’une condamnation morale convenue, mais d’une œuvre de sociologie. L’essentiel, en effet, n’est pas l’objet de la croyance raciste - l’inégalité des êtres ou les particularités génétiques et morales -, mais la croyance elle-même, la volonté de distinguer son identité propre de celle d’autres groupes en fonction de signes distinctifs, individuels et collectifs. Le grand basculement s’opère au XVIIIe siècle : à une Nature ordonnée par Dieu selon une hiérarchie où chacun, depuis Aristote, trouve sa place dans une grande harmonie sociale, voire une division du travail, succède un univers désenchanté, mécaniste, où les principes de la biologie régissent désormais les êtres, donc leurs capacités supposées, leur subordination et leur exclusion possible. Dès lors, la race n’apparaît pas comme un signe de nature biologique repérable dans les faits, mais plutôt comme une forme biologique d’exclusion sociale, utilisée comme signe, à seule fin de distinguer, discriminer, mettre à part.Les travaux des biologistes et généticiens sont salutaires, qui disent l’impossibilité de travailler avec une notion aussi indéfinissable que celle de race ; il n’empêche. La race, dans le langage ordinaire, est une modalité de distinction. Peu importe qu’elle ne corresponde à aucun outil classificatoire réel ; l’essentiel est que le terme permette l’acte : rejeter.Une étude pionnière, qui a inspiré depuis toutes les grandes recherches sur le sujet. http://www.librairiedialogues.fr/livre/261398-l-ideologie-raciste-genese-et-langage-actuel-colette-guillaumin-folio

Le racisme est une idéologie, qui partant du postulat de l’existence de races humaines1, considère que certaines races sont intrinsèquement supérieures à d’autres2. Cette idéologie peut entraîner une attitude d’hostilité ou de sympathie systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes de couleurs. Dans le cas de l’hostilité ces actes se traduisent par une forme de xénophobie ou d’ethnocentrisme. Certaines formes d’expression du racisme, comme les injures racistes, la diffamation raciale, la discrimination négative, sont considérées comme des délits dans un certain nombre de pays. Les idéologies racistes ont servi de fondement à des doctrines politiques conduisant à pratiquer des discriminations raciales, des ségrégations ethniques et à commettre des injustices et des violences, allant jusqu’au génocide.

Dans la période post-coloniale, est apparu ce que les auteurs appelle le néo-racisme, un « racisme sans races », différentialiste et culturel, qui se focalise sur les différences culturelles et non sur l’hérédité biologique comme le racisme classique. Dans ce néo-racisme, la catégorie « immigration » est devenue un substitut contemporain à la notion de « race ». Le racisme différentialiste consiste à dire que puisqu’il ne peut y avoir hiérarchie des races ni des cultures, celles-ci ne doivent cependant pas se mélanger mais rester séparées et cloisonnées. http://fr.wikipedia.org/wiki/Racisme


Interview :

Colette Guillaumin* : "L’autre n’est qu’une parcelle indifférenciée d’un groupe"

Les préjugés racistes sont véhiculés par un langage et des mots tout à fait spécifiques. Démonstration.

Psychologues : Le discours raciste possède-t-il des articulations particulières ?

Colette Guillaumin : Travailler sur le discours raciste, c’est se confronter au problème de l’insincérité. Les gens s’avouent rarement racistes. Et, lorsqu’ils le font, c’est en position de défense, voire d’agressivité. C’est pourquoi j’ai préféré analyser le discours des médias. Je me suis alors aperçue qu’il fallait reconstituer le tissu de ce discours à partir de ses manques, de ses non-dits. D’abord, il existe une constante : la personne qui fait partie d’un groupe racisé n’est jamais considérée comme un individu, mais comme une simple parcelle indifférenciée du groupe. Ce n’est jamais un être, une personne, avec une histoire, une culture, une identité psychologique.

Pourtant, un raciste qui se respecte a toujours un « bon juif » ou un « bon Arabe »...

Cette exception est en elle-même une constante. L’individu est alors extrait du groupe et sert d’alibi.

Est-ce de la généralisation abusive ?

C’est presque le contraire ! Une généralisation part d’une remarque concrète pour l’appliquer à tout le monde. Là, il s’agit d’un a priori. D’ailleurs, le discours raciste ne se contente pas d’être péjoratif. Il est parfois laudatif. On dit : les Noirs sont de grands athlètes, les juifs ont le sens des affaires et de la famille... C’est un volet beaucoup moins important que le volet péjoratif, mais toujours présent. Sartre a analysé ce processus : selon lui, la qualité mise en avant était utilisée pour rendre le groupe racisé plus dangereux. C’était vrai en ce qui concerne les juifs. Mais cette explication n’est pas toujours valable. Parfois, les qualités reconnues, très anecdotiques, ne servent qu’à accentuer la différence.

Cela se manifeste-t-il dans le langage d’une façon spécifique ?

Oui, mais c’est parfois très subtil. Je me souviens d’avoir lu, dans le même quotidien régional, le même jour, deux articles racontant, l’un, l’histoire .de deux petits enfants maliens qui s’étaient égarés et qu’on avait retrouvés quelques jours plus tard, morts de faim ; l’autre, celle d’une petite fille dévorée par le chien de ses parents. Dans le premier cas, le journaliste écrivait : « Ces enfants laissés sans surveillance... » ; dans le second : « Cette enfant ayant échappé à la surveillance... » II ne s’agit pas d’une nuance. De la même façon, quand on parle des activités d’un groupe non racisé, les formes verbales sont actives : ils ont fait, ils ont voulu, ils ont obtenu... S’agissant d’un groupe racisé, les formes deviennent passives : ceci a été modifié, cela a disparu... Les membres du groupe ne sont plus des acteurs, ils sont manipulés à l’intérieur d’un processus. C’est un discours commun, une façon de dire les choses. Et comme on ne s’interroge pas sur tous les mots que l’on emploie, ils finissent parfois pas incliner notre pensée. Quant au discours raciste explicite, il donne à chacun l’autorisation d’exprimer ce qui est hypocritement caché.

Comment ce discours se justifie-t-il ?

Il repose sur les caractéristiques supposées des gens racisés. Or, ce sont toujours les mêmes : l’autre n’est pas sérieux au travail, il est sale, il est agressif et cruel, il est vecteur de maladies... Bref, il est dangereux. On a reproché cela successivement aux Polonais, aux Italiens, aux Portugais, aux Gitans, aujourd’hui aux Arabes... Ce furent aussi les ouvriers à la fin du siècle dernier. Ces critères sont constants, même si le groupe qui les incarne change tous les vingt ou trente ans. On commence d’ailleurs à entrevoir, ici et là, de façon très allusive, des signes laissant penser que nous allons de nouveau changer de groupe émissaire, pour passer des Maghrébins aux Asiatiques. Le processus continue !

PROPOS RECUEILLIS PAR M. B. Extrait du magazine Psychologies de Juin 1997

* Colette Guillaumin est sociologue, chercheuse au CNRS. Depuis vingt ans, elle étudie les ressorts du discours raciste.


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