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Des élèves... ou avant tout des filles et des garçons ?

dimanche 25 août 2002

L’école établit contre sa volonté une différence entre les filles et les garçons. Pour lutter contre ce phénomène, certains pays remettent en cause le principe même de la mixité. Est-ce une solution ?

 Officiellement, les élèves n’ont pas de sexe. À l’école, le parti a été pris de ne plus séparer les filles et les garçons. On sait que garçons et filles ont des comportements différents en classe. Les maîtres évoquent les filles travailleuses et les garçons indisciplinés. Les filles font du secrétariat ou des lettres, les garçons de la mécanique ou des sciences. Tout ceci ne serait que le reflet du monde extérieur, du monde du travail, des pratiques des familles, ou encore de vieux stéréotypes voués à disparaître.

 L’école n’est pas neutre Pourtant, c’est aussi à l’école, où "ils" et "elles" passent une part importante de leur vie, que les élèves apprennent, de manière diffuse, des nonnes de conduite et des valeurs. Nombre de travaux montrent qu’ils investissent progressivement des matières et mettent en œuvre des qualités I conformes à leur sexe, dans un cadre scolaire pas si neutre que cela. Sur les élèves « entrés en 6e en 1989, 39 % des filles contre 27 % des garçons accèdent au baccalauréat sans redoubler ; ces derniers étant moins nombreux à franchir le barrage de la fin du collège. Avec ou sans redoublement, 52 % des garçons entrent en seconde contre 65 % des filles. En revanche, les filles continuent à accéder moins souvent que les garçons aux séries scientifiques du baccalauréat et leur poids "fond" littéralement dès lors que les filières de l’après bac sont scientifiques et sélectives. Elles représentent environ 37 % des effectifs du bac C (maths-physiques), 21 % de ceux de "maths sup" (classe préparatoire scientifique), 9 % des lauréats à Polytechnique... Les filles restent encore aujourd’hui sous-représentées dans les formations scientifiques et techniques de haut niveau comme dans les for¬mations menant aux positions sociales les plus valorisées.

 Ces différences de trajectoires scolaires ne reflètent guère des inégalités de réussite au sens strict. A l’issue de l’école primaire, et jusqu’à la fin du collège, les filles font jeu égal avec les garçons en mathématiques et les surpassent en français. Mais à l’entrée au lycée, même quand elles ont strictement le même niveau que les garçons, les filles font des choix d’options qui les détournent des filières scientifiques ; elles préfèrent choisir une troisième langue plutôt qu’informatique, par exemple. Elles ne s’orientent dans ces sections que si elles sont très bonnes en sciences, alors que pour les garçons, même moyens, une orientation vers un bac scientifique semble aller de soi. Les filles s’auto-sélectionnent donc plus fortement que les garçons par rapport à des filières scientifiques qu’elles perçoivent comme plus difficiles... pour elles. Tout est là ! Car pour choisir une orientation, l’élève doit se sentir capable d’y réussir. Il doit aussi considérer que cette orientation est normale -ou pas trop déviante - pour le garçon ou la fille qu’il (ou elle) est. Or, dès la fin du primaire, et plus encore à l’adolescence, des différences apparaissent, entre filles et garçons, sur le sentiment qu’ils ont de leurs propres compétences, dans toutes les disciplines "connotées" sexuellement ; notamment en physique et en mathématiques, disciplines très "masculines". Les filles abordent ces matières fortement valorisées à l’école avec moins de confiance en elles et moins de pugnacité en cas de difficulté. L’école n’y est pas pour rien. où les filles sont souvent moins stimulées. On leur pose des questions moins exigeantes, on leur donne plus vite la réponse, comme si, vu leur sexe, elles étaient "excusées" de ne pas réussir. Dans les pays où il existe des classes non mixtes, on observe que les filles réussissent mieux dans les matières scientifiques. C’est vrai aussi pour les garçons dans les matières littéraires, mais à un degré moindre.

 La réussite des garçons apparaît toujours comme un enjeu important, alors qu’on baisse plus volontiers les bras devant certaines difficultés des filles. Une fille "qui a du mal en physique... c’est normal !" Par ailleurs, les filles, même en échec scolaire, ne perturbent pas trop le groupe. Mais les classes mixtes forgent des attitudes différenciées aussi par le jeu quotidien des interactions entre élèves. C’est par rapport à l’autre sexe que l’on se pose

L’action implicite des maîtres De manière inconsciente, les maîtres ont tendance à "traiter" différemment les filles et les garçons parce qu’ils véhiculent à leur i égard des attentes différentes, reflétant les 1 / stéréotypes de la société. C’est vrai en particulier en mathématiques et en physique, comme garçon ou comme fille. Les filles vont avoir comme souci de plaire aux garçons mais aussi de ne pas entrer trop ouvertement en compétition avec eux, notamment dans les matières qui semblent constituer leur chasse gardée. Les garçons vont tout faire pour ne pas apparaître comme "efféminés", par une réussite scolaire trop marquée ou une attitude trop studieuse, ce qui peut contribuer à expliquer certaines difficultés scolaires masculines, du moins jusqu’au collège. Que ce soit en classe ou dans les cours de récréation, les filles apprennent fondamentalement à s’effacer devant les garçons, qui n’hésitent pas à interrompre leurs jeux, à leur couper la parole, à monopoliser ordinateurs ou microscopes, etc. On observe d’ailleurs une moindre estime de soi chez les filles des écoles mixtes par rapport à celles des écoles non mixtes. Classes mixtes ou non mixtes ? Faut-il alors - question largement débattue dans les pays anglo-saxons - se résoudre à séparer filles et garçons, pour les libérer des stéréotypes qui limitent leur développe¬ment ? Cette solution "technique" à ce qui serait avant tout le "problème" des filles peut paraître contestable, si ce sont les relations entre les sexes que l’on prétend changer. On peut défendre l’idée que les filles en tireront plus d’assurance, voire que les garçons, s’ils sont scolarisés entre eux, apprendront à se définir autrement que par l’opposition méprisante aux filles. Mais si l’on espère à terme que les stéréotypes de sexe ne viennent plus barrer l’horizon des élèves, une ségrégation, même temporaire, peut-elle être une solution ? On aborde là des questions d’ordre poli¬tique. Faire évoluer les mécanismes de catégorisation de l’univers en masculin ou en féminin met en jeu la division du travail entre les sexes au niveau de la société. D’aucuns diront qu’il n’est guère réaliste d’espérer introduire des changements réels à l’école, dès lors que la famille et le monde du travail restent ce qu’ils sont. Mais l’école a précisément pour vocation d’ouvrir les portes de tous les possibles. Aux yeux de certain(e)s enseignant(e)s, la notion de "" pédagogie anti-sexisme s’impose. L’idée de base de cette pédagogie anti-sexiste est d’abolir les obligations liées au sexe dans le choix d’un mode de vie. Dans la mesure où les contraintes que la "masculinité" fait peser sur les garçons ne sont pas négligeables, elle peut s’avérer aussi libératrice pour les hommes que pour les femmes. C’est la question de la nature même de la différence sexuelle qui se trouve posée. Le sexe peut-il, à terme, ne constituer qu’une différence parmi d’autres, sans être pour autant le support d’inégalités, et en l’occurrence d’une domination ?

Marie Duru-Bellat, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne, chercheur à l’Institut de recherche sur l’économie de l’éducation (IREDU-CNRS)

Post-Scriptum
Extrait du JDI de Mars 1999