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Langage : la loi du genre

mercredi 17 mars 2010, par phil

Pourquoi l’amour est-il masculin, quand les amours sont féminines ? Une question de langage qui relève du "sexe des anges".


Surprises du langage : non seulement masculin et féminin ne sont pas les seuls genres grammaticaux (certaines langues en comptent vingt !) mais ils n’ont pas toujours un rapport direct avec la personne ou l’objet désigné.


 Traduire le mot anglais, gender en français n’est pas une tâche facile : la signification du mot anglais, depuis quelques décennies, a considérablement évolué. D’abord utilisé pour indiquer la différence (physique) de sexe, ainsi que celle du « genre grammatical », ce.mot connaît actuellement une nouvelle acception rajoutée aux deux autres, indiquant l’orientation sexuelle (ou rôle) culturellement acquise, et en particulier celle de la femme hétérosexuelle et celle des homosexuels et homosexuelles. (Définition de 1994, aujourd’hui contestable, ndlr)

 Est-ce que la linguistique nous permet de mieux comprendre !e sens du mot ? Peut-être. En grammaire, les langues latines n’ont, en général, que deux genres, masculin et féminin. Le roumain en a trois, ayant conservé le « neutre » du latin. Y-a-t-il un rapport entre le genre grammatical et les attributs, des objets désignés ? Oui et non. Plusieurs mots du latin d’un genre donné se trouvent dans les langues qui en descendent, avec des genres différents (par exemple : il mare en italien et la mer français). Deux mots français, amour et orgue, sont masculins dans le singulier et féminins dans le pluriel. Étrange aussi, certains mots pour le sexe masculin, la couille et la verge, sont au féminin, tandis que le sein et le vagin sont au masculin.

 Existe-t-il des genres autres que masculin et féminin ? Bien sûr, et ce cas de figure se trouve même en Europe. Le danois possède deux genres, « neutre » et « commun ». De façon similaire en iranien, il. n’y a pas de mot séparé pour il et elle, ce qui donne à la poésie d’amour iranienne une délicieuse ambiguïté, tout en posant des problèmes d’ordre moral au régime actuel. Les langues peuvent-elles constituer plus de trois catégories principales ? Bien sûr, certaines langues peuvent se vanter d’avoir plus d’une vingtaine de genres.

 Madame le... Pouf les linguistes, le genre grammatical se définit par le fait qu’un mot « s’accorde » avec un autre, ce qui explique pourquoi Sa Majesté Louis XIV s’appelle elle et pourquoi chaque mari a sa femme (à lui). En revanche, lorsqu’une femme se dit reconnaissante ou : un homme reconnaissant d’avoir reçu la même augmentation de salaire, il ne s’agit pas strictement d’un cas de genre grammatical, puisque le ;sexe « physique » de la personne qui parle « force » le genre grammatical de l’adjectif. Dans le cas des substantifs, la transformation intentionnelle du genre peut s’avérer tortueuse. Au Québec ; il y a des auteuses et à ; Paris, Madame le Ministre. Ces derniers exemples ne sont pas les seuls ou le sexe physique influe sur la manière de parler. En chinois, du moins dans certaines régions de Chine il existe une façon masculine et une façon féminine de prononcer le même mot, les hommes adoptant la prononciation "dure", les femmes-celle plus « douce ; », chacun (chacune) articulant les consonnes propres à son sexe.
 Serait-il inexact de dire que l’anglais n’a presque plus de « genre grammatical » : ? Il garde toujours les pronoms he, she, his, her, lorsqu’il s’agit de faire référence aux membres du royaume animal (l’homme et la femme en faisant partie). De plus, les navires de guerre sont des "she" ; mais ce sont : plutôt les puristes qui le disent. D’autre part, l’anglais conserve quelques suffixes féminin afin de pouvoir fabriquer des "princesses" , à partir des « princes « . I ! y a aussi le suffixe « man », actuellement transformé, en "person" comme dans chairperson, une- matérialisation linguistique de l’égalité des sexes. Le mot man n’est guère transformé. On ne dit pas person a ship mais man a ship (garnir d’hommes un bateau) ni personhole mais man hole (trou d’hommes). Par contre, au Québec francophone, les droits de l’homme sont devenus les droits de la personne. En dépit de ces difficultés, un parler « politiquement correct » dans ce domaine semble plus facile à -réaliser- en anglais que dans beaucoup d’autres langues.

 « Type » ou « gendre »... Bien que le mot anglais gender vienne du français genre (avec un « d » rajouté pour le rendre plus prononçable par les Anglo-Saxons, le mot genre a un champ sémantique plus large, l’anglais l’a même ré-emprunté dans l’expression literary genre. En français, genre signifie la plupart du temps espèce, sorte, type. Dans ces acceptions, il serait traduit en anglais par le mot kind. En fait le "kin"de "kind" et le "gen" de genre ont tous les deux la même racine indo-européenne.
 Peut-on donc traduire le mot gender, dans son acception socio-politique actuelle, par le mot genre ? Rien n’est moins sûr. Le mot gendre aurait pu nous tirer d’affaire, mais il est maiheureusement déjà pris pour désigner le beau-fils. ll est d’autre part, peu probable que le mot anglais gender, avec son allure de verbe boiteux, puisse se glisser dans le vocabulaire français. Peut-être une commission émanant du ministère de la Culture trouvera-t-elle la-bonne réponse ?

Bernard SCHOLL, Linguiste.

Post-Scriptum :
Extrait d’un article paru en septembre 1994 dans la revue Sciences Humaines.