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La double vie de Marcel Straight & Marcel Queer

mardi 29 août 2000, par phil

“ Pour beaucoup de gais, concilier la vie publique avec la vie privée exige bien souvent la culture du paradoxe, avec un risque accru de skizophrénie. Si l’ambiance était, il ya peu, au vidage de vieux placards, il reste encore une forte sa sexualité. Ils sont “Straight from nine to five”, selon une expression à la mode outre atlantique, qui se traduit de deux façons. “Straight” désigne les hétéros, mais signifie “droit” avant tout, donc par extension rigide, bref constipé. Nos gaillards assument le fait d’être pédé, mails profitent de l’indifférente mansuétude de plus grand nombre chèrement obtenue à force de militantisme gazolinien pour vivre une vie sexuelle souvent débridée sans jamais franchir le rubicond culturel. Aux yeux de leurs collègues de bureau, de leur famille et de la plupart de leurs amis, le “rien à signaler” prévaut selon la logique du non-dit typiquement chrétien. La peur de “faire pédé” leur dicte un dégoût pour tout ce qui fait référence directe à une hypothétique culture gaie(...) Mais beaucoup de gais sont malgré tout plus subtils. OK pour donner le change aux heures de bureau, à condition de pouvoir vivre, par ailleurs, leur vie de bête sans complexe.(...)Les bars gais sont plein d’hommes dont l’apparence ne révèle rien de leur véritable état. On y trouve des tas de rockers qui trippent techno, des cows-boys qui n’ont jamais vu de vache de leur vie, de marins qui savent à peine nager, de paras qui ont le vertige(...) S’il vous arrive d’en dévisager certains avec un peu plus d’attention, vous prenez le risque de découvrir alors , derrière l’un ou l’autre, l’inspecteur des impôts qui vous a tant fait chié l’an dernier. C’est ainsi que bon nombre d’entre vous passent leur journée en pingouin, et leur soirée en cuir. Opérant là un olympique grand écart mental qui vous transforme le plus discret des employés en chatte furieuse et exponentielle (...) Ça fait un peu cliché , mais ça existe.(...) A leur manière, ils interprètent leurs rôles, et c’est ce qu’on leur demande. Après tout, la ville fonctionne comme un immense complexe théâtral. (...) Il y a ainsi plusieurs scènes, parmi lesquelles la scène gaie . Passer d’un registre à l’autre constitue la gloire d’acteurs qui déploient leurs multiples talents dans les répertoires les plus divers(...) La double vie ne peut exister qu’à l’intérieur d’un univers métropolitain, où l’anonymat est rendu possible par la foule et l’étendue(...)Il y a ceux qui ne peuvent pas faire autrement que de jouer un double rôle dans la comédie humaine. Il y a ceux, assez rare, qui ont l’opportunité et le courage de mettre en accord leur vie sociale et intime. Pourtant, même ceux là sont victimes, malgré eux, de l’impérative nécessité d’avoir l’air de quelque chose, que, dans le fond, ils ne sont pas. Eux aussi se déguisent, conditionnés par la profusion d’images modèles diffusées par voies de revues, de pubs, de films..(...)A ce jeu de dédoublement , on risque rapidemment de se prendre les pieds(...) A force de vouloir être partout, on est nulle part, et surtout on reste introuvable .”


J.F.Kesmis(extrait de Tribu Magazine, 1994)