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Paroles d’acteurs de terrain

vendredi 1er septembre 2000, par phil

 Les insultes homophobes et sexistes sont malheureusement monnaie courante dans les établissements scolaires. Or, si on considère les 6 à 10% de jeunes homosexuels ou bisexuels présents dans une classe, c’est donc deux à trois élèves qui guettent la réaction du professeur ou du CPE suite à un « grosse tapette » lancé dans un couloir, sans compter celles et ceux qui se posent des questions sur leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, ou encore ceux ayant un gai ou une lesbienne dans leur entourage. Dans tous les cas, si l’enseignant ne dit rien, il rend légitime l’homophobie à l’école. En revanche, s’il sanctionne ce type d’insulte, au même titre qu’une insulte raciste ou antisémite, il contribue notamment à « normaliser » l’orientation homosexuelle. Cette courte réflexion implique donc que les personnels de l’Education doivent être formés pour répondre de façon simple mais efficace aux actes et paroles homophobes.

 La réalité est toute autre. En effet, c’est en participant à un module de l’IUFM de Créteil portant sur les discriminations, dans le cadre de la formation continue des personnels de l’Education, que nous avons pris conscience du désarroi de certains enseignants face à une parole ou un acte homophobe. Effectivement, beaucoup ne savent pas comment réagir face à ces violences, si ce n’est par infliger une sanction. Mais punir sans expliquer se révèle souvent inefficace, car les préjugés des élèves ne sont remis en cause à aucun moment. Le manque de réaction a une origine double : d’une part une méconnaissance des enseignants sur les questions LGBT, qui ne permet donc pas d’expliquer à l’élève en quoi son comportement est blessant, irraisonné et donc inadmissible ; d’autre part l’absence de formation de ces derniers qui se fait sentir lorsqu’une situation de crise a lieu.

 Ce constat fait, nous nous sommes concertés sur les moyens dont disposent les enseignants pour lutter contre ces formes de haine que sont l’homophobie. Ces moyens doivent rester simples dans leur application, et éviter autant que possible de mettre l’enseignant en situation délicate sur sa vie privée. Quatre axes ont ainsi été développés :

 Mieux informer les élèves se posant des questions sur leur orientation sexuelle ou leur genre : « La ligne azur » (0810 20 30 40) est une ligne d’écoute anonyme animée par des psychologues professionnels à destination des jeunes se posant des questions sur leur orientation sexuelle ou leur genre. Des affiches existent, précisant l’objectif et les coordonnées téléphoniques de cette ligne. Néanmoins, celles-ci sont peu visibles, lorsqu’elles le sont. Un affichage dans les infirmeries, CDI, cafétérias, salles de sciences... aurait un double impact positif : d’une part donner une porte de sortie aux jeunes en questionnement, sans devoir passer par un adulte ; d’autre part, susciter le dialogue sur ces questions sans l’imposer. Dans cet objectif, le MAG a sollicité les infirmières scolaires de tous les lycées de la région Ile-de-France en leur proposant de mettre à leur disposition des brochures ou des affiches d’information.

 Tenir compte de la diversité des sexualités dans les programmes : La sexualité est souvent considérée dans les programmes de biologie comme « outil » servant à la reproduction des individus mais est trop rarement associée à l’affectivité et au plaisir ressentis dans une relation partagée avec l’autre. Les quelques heures consacrées à la sexualité en classes de 4e et 3e ne permettent le plus souvent d’envisager que les rapports affectifs hétérosexuels, négligeant de fait 10% des élèves présents, qui ne se reconnaissent pas dans une norme qu’on leur impose.

 Cependant, outre les sciences de la Vie et de la Terre, certaines parties du programme permettent une approche de la question LGBT : la déportation des homosexuel-le-s durant la seconde guerre mondiale (3e et terminale), souvent passée sous silence par les manuels scolaires ; en cours d’ECJS (Education Civique, Juridique et Sociale) l’évocation du couple homosexuel et de l’homoparentalité en seconde, ou des droits des gais, lesbiennes et trans au collège ; au collège ou au lycée, lors de l’étude d’auteurs dont l’homosexualité est connue : Gide, Wilde, Colette, Rimbaud, Verlaine... Il est d’ailleurs consternant de voir que des manuels scolaires aient pris le parti de donner cette information de façon codée (on parle « d’amitiés tumultueuses ») ou franchement déplacée, l’associant tantôt à la débauche, tantôt à l’instabilité.

 Bien entendu, toutes les matières ne se prêtent pas a priori à parler d’homosexualité. Et pourtant, il existe des moyens qui pourraient renverser cette tendance ; on peut par exemple rédiger un énoncé de mathématiques en évoquant indirectement des personnes homosexuelles : Ex. : « Christophe et Stéphane ont acheté une maison de forme carrée de 80 m². Calculez la longueur d’un côté de la maison ». On peut naturellement adapter cette proposition, notamment en employant deux prénoms mixtes (« Claude et Dominique... » ; dans ce cas, qui est l’homme, qui est la femme ? Peut-être ces deux personnes sont-elles de même sexe... !).

 En outre, des projets interdisciplinaires peuvent également conduire à une réflexion élargie sur ces thèmes : la représentation du corps (SVT et Arts Plastiques), le processus de discrimination (SVT, Histoire, Français...). Les IDD du cycle central de collège ou les TPE de première et terminale se prêtent bien à ce type d’entreprise. Le MAG a d’ailleurs été sollicité à de nombreuses reprises par des lycéens des séries L et ES pour répondre à des questions illustrant leurs TPE.

 Refuser le sexisme affiché de certains manuels scolaires : Le sexisme est le terreau de l’homophobie et de la transphobie. Il implique en effet l’idée d’une distribution des rôles entre l’homme et la femme, distribution non aléatoire basée sur une norme traditionaliste. Dès lors, si un individu s’accapare d’un rôle qui ne lui est pas traditionnellement réservé, il est victime de rejet.

 Les manuels scolaires, notamment ceux utilisés en langues, sont pour certains porteurs de cette conception discriminatoire. Qui n’a pas eu le droit en cours d’anglais à la saynète représentant Mrs Turner préparant la cuisine tandis que Mr Turner patiente sagement dans le salon en lisant le journal ou fumant la pipe (sic) ? Dans d’autres cas, c’est la différenciation des sports pratiqués qui témoignent du sexisme en milieu scolaire, certains étant dévolus aux filles (gymnastique au sol, danse...) et d’autres aux garçons (football, rugby...). Un garçon voulant faire de la danse sera supposé gai, une fille voulant faire du foot lesbienne.

 Il ne tient ici qu’à l’enseignant de rompre avec ces pratiques normatives. Effectivement, un professeur de langues est libre de choix dans les textes qu’il présente aux élèves ; un enseignant en EPS peut rétablir une certaine mixité dans des sports où les pensées sexistes dominent.

 Sanctionner les propos sexistes et homophobes Une sanction ponctuelle faisant suite à des insultes ou des agressions sexistes et/ou homophobes est un premier pas vers la reconnaissance de ce type de phobie. Néanmoins, elle ne suffit pas, puisqu’elle ne figure pas dans un cadre légal établi dont chaque élève sait qu’il devra tenir compte.

C’est pourquoi nous sommes convaincus de la nécessité de faire noter dans le règlement intérieur les risques de sanctions encourues en cas de propos haineux, au même titre que ceux relevant de la xénophobie ou de l’antisémitisme. Cette requête, en plus de mettre en garde les élèves ayant un comportement homophobe, permet de légitimer une plainte d’élève souffrant de ce type de discrimination. L’élève en danger se bat alors avec la plus grande des armes à ses côtés : la loi !

 Ces différents points ont fait l’objet d’une part d’un fascicule que nous comptons mettre prochainement à disposition des personnels de l’Education, notamment lors de nos interventions à l’IUFM de Créteil ainsi qu’un livret d’information spécifiquement destiné aux infirmières scolaires (livret joint séparément). Ils constituent un outil, complémentaire d’autres tels que la mallette « Couleurs Gaies », mais ne remplace pas des intervenants, plus à l’aise avec ces thèmes. Il faut aussi rendre compte des difficultés rencontrées par certains (professeurs, infirmières, CPE, assistant-e-s social-e-s...), désireux de mener à bien une action dans leur établissement, et qui se trouvent confronter au refus, pas toujours motivé, des chefs d’établissements. Si la circulaire du 17 février 2003, explicitant la nécessité de mener « une lutte contre les préjugés sexiste ou homophobes », peut constituer un atout précieux, il n’en demeure pas moins que les réticences de la hiérarchie perdurent assez souvent, empêchant ainsi toute réflexion des jeunes élèves, futurs adultes de demain.


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